Entretien – Impliquer la jeunesse dans les musées pour un meilleur avenir avec Charlene Houston

Entretien 5/6 : « Impliquer la jeunesse dans les musées pour un meilleur avenir », avec Charlene Houston

Pour le cinquième épisode de notre série consacrée aux discussions et débats du Symposium Musées africains : enjeux d’aujourd’hui et de demain, produit par France Muséums et tenu au Louvre Abu Dhabi en janvier 2025, nous nous sommes entretenus avec Charlene Houston sur la manière dont les musées peuvent impliquer une nouvelle génération de visiteurs, en présentant des expériences accessibles à même de refléter les positions et aspirations des plus jeunes.

Charlene Houston est une historienne spécialisée dans la lutte contre l’apartheid, l’activisme féministe et décolonial, la mise en valeur des récits marginalisés et l’apprentissage social, elle a porté ces sujets par le biais de différents projets, au sein de plusieurs institutions majeures d’Afrique du Sud. Pendant plusieurs années, elle a piloté le programme « Learning from Legacy » au sein de la Desmond and Leah Tutu Legacy Foundation, en charge des expositions, de la médiation et des actions éducatives.

Pourriez-vous présenter la Desmond and Leah Tutu Legacy Foundation et nous en dire plus sur le travail que vous y avez effectué ?

La Desmond and Leah Tutu Legacy Foundation est une institution établie depuis 2011 pour préserver et promouvoir l’héritage de l’archevêque Desmond Tutu et de sa femme Leah Tutu. Elle promeut des valeurs de leadership éthique, de justice sociale et de réconciliation, en s’inspirant de l’engagement inébranlable des Tutu en faveur des droits humains et de la réconciliation.  Trois grands programmes structurent son action : « Leading for Humanity », « Advocacy for Social Healing » et « Learning from Legacy ».

Ces trois programmes se complètent les uns les autres et répondent à un même objectif : fournir les outils aux visiteurs, notamment aux plus jeunes et aux futurs leaders, pour prendre position, agir, et défendre leurs convictions. De nombreux sujets sont abordés dans ces programmes, comme les notions de démocratie, de justice et de futur équitable, les conséquences et les racines des conflits en Afrique du Sud et dans le reste du monde, la paix et la mémoire de la résistance.

Le programme Learning from Legacy, que j’ai coordonné, s’appuie sur les expositions de la Fondation, et en particulier sur l’exposition permanente « Truth to Power ». Elle retrace la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, à travers la vie et le travail de l’archevêque Tutu et de certains de ses alliés. Les objets et dispositifs exposés ont pour but de transmettre l’histoire de la résistance en Afrique du Sud pendant l’apartheid et le travail de la Commission de vérité et de réconciliation par la suite, en mettant l’accent sur la contribution de Desmond Tutu. Cette exposition sert également d’outil pour développer des programmes éducatifs et de sensibilisation pour promouvoir l’héritage des Tutu.

À travers ces dispositifs, nous avons constamment cherché à intégrer les jeunes publics, à créer des espaces d’expression, de débat, d’engagement autour de leur avenir.

Quel espace accordez-vous aux jeunes au sein de la programmation culturelle ?

L’un des objectifs de la Fondation est de travailler avec les jeunes, par le biais de l’exposition permanente et des programmes éducatifs qui les accompagnent. Nous nous adressons à plusieurs types de jeunes.

Les scolaires constituent notre cible la plus importante, car le contenu de l’exposition fait partie du programme scolaire. L’exposition enrichit leur apprentissage, au-delà des limites que peut avoir l’instruction académique.

La Fondation essaye également de cibler les jeunes adultes, notamment les jeunes activistes impliqués dans des organisations ou mouvements portant les mêmes valeurs et objectifs, parce qu’ils peuvent s’inspirer de la vie et des messages transmis par Desmond et Leah Tutu pour nourrir leur combat. Je peux, par exemple, mentionner « Bottomup », une organisation d’étudiants qui œuvre pour le changement social en Afrique du Sud par le leadership des jeunes. La Fondation travaille avec ses leaders pour inciter les jeunes à visiter les expositions.

Au-delà de ces deux publics prioritaires, nous profitons des jours fériés et des jours de commémorations pour inciter les personnes qui ne sont pas habituées à se rendre au musée à venir le visiter. Nous concevons des programmes spéciaux à l’occasion de journées commémoratives : Youth Day, Heritage Day, Freedom Day, etc. En ces occasions, nous invitons des jeunes impliqués dans des organisations ou des mouvements de plaidoyer à participer à ces programmes.

A la Fondation, nous pensons qu’il est important de faire les choses de manière participative, de manière à ce que les jeunes soient inclus et puissent co-construire avec nous.

Comment encouragez-vous la participation des jeunes, comment les impliquez-vous ? Pouvez-vous citer des exemples de programmes ou d’activités spécialement conçues pour elles/eux ?

Il est très important que les programmes que nous concevons ne soient pas simplement des cours magistraux, de la théorie ou de la communication descendante. Cela ferait des jeunes visiteurs que nous accueillons les destinataires passifs de la connaissance : nous privilégions les échanges et les formats participatifs.

Compte tenu du contexte historique sud-africain, la Fondation accorde une importance particulière à l’apprentissage de l’histoire et aspire à instiller une conscience historique et civique aux jeunes générations.

Afin de remplir cet objectif, nous concevons des programmes sur-mesure, pour chacun des types de groupes de jeunes que nous ciblons, à commencer par les écoliers et lycéens. Nous avons des programmes pour chaque classe, et nous accompagnons les enfants et les adolescents tout au long de leurs études dans l’apprentissage de l’histoire récente du pays. Cet enseignement de l’histoire accorde une importance particulière à la conscience démocratique et civique, conformément aux valeurs de Desmond et Leah Tutu.

Les thématiques abordées comme la paix, la démocratie, le vivre-ensemble, donnent lieu à des ateliers où les jeunes peuvent exprimer leurs ressentis, partager leurs expériences, puis co-construire une activité, souvent de nature créative.

Des jeux basés sur l’exposition permanente sont également proposés pour qu’ils s’y intéressent et trouvent les réponses par eux-mêmes. Typiquement, il peut s’agir d’une chasse aux indices au sein de l’exposition.

Nous travaillons également au développement d’une conscience citoyenne et sur ce que cela signifie. Nous cherchons à faire comprendre aux jeunes que leur parole compte. Ils doivent se sentir légitimes à prendre position, à débattre, à faire valoir leur point de vue.

Dans cette perspective, le programme Democracy and Citizenship, a été conçu pour les  les élèves de 6e année (équivalent de la sixième en France). Il permet d’explorer les principes de démocratie et de citoyenneté active.

Les jeux de rôle constituent également une façon de les impliquer et de leur faire comprendre ces concepts.  L’un des exercices est le « Four Corner Debate » : les élèves se positionnent dans l’espace selon leur opinion sur une question donnée, puis débattent avec leurs camarades. L’objectif est de favoriser l’écoute, le respect de l’autre, et la possibilité d’évoluer dans sa réflexion.

Pourquoi est-il essentiel, selon vous, d’impliquer la jeunesse dans la redéfinition du rôle des musées ?

Connaître l’histoire du pays permet aux jeunes de comprendre où ils se situent aujourd’hui. Cela leur donne aussi la possibilité de retracer cette histoire avec leur propre regard, leur propre prisme et ainsi, acquérir des outils, développer des compétences et des valeurs qui les accompagneront dans leurs efforts pour se construire une vie meilleure.

En invitant des jeunes de communautés différentes, nous les exposons les uns aux autres.

Je pense qu’il est important de créer et de « curater » ensemble, avec nos jeunes visiteurs. Les musées doivent être des lieux d’interactions et d’échanges réciproques où nous, conservateurs et professionnels des musées, puissions apprendre des jeunes autant qu’ils apprennent de leur expérience au sein du musée.

Je pense qu’un musée, aujourd’hui, devrait être un lieu d’apprentissage social et d’échanges réciproques, où nous pouvons échanger des idées les uns avec les autres et explorer des chemins vers un monde plus durable.

En quoi ces espaces de dialogue, comme ce Symposium organisé à Abu Dhabi, sont-ils importants ?

Le Symposium a été une expérience très enrichissante. Ces événements sont des opportunités pour découvrir et explorer le travail d’autres institutions, voir comment ils relèvent des défis similaires dans des contextes différents. C’est une chance de voir notre profession sous un nouvel angle, et d’être inspiré par de nouvelles approches. Nous pouvons plonger dans le cœur d’une autre institution, observer comment les publics interagissent et oser s’exposer à d’autres manière de communiquer et de travailler.

Au-delà des sessions formelles, le Symposium a également offert l’opportunité précieuse de créer des liens avec mes homologues. Ces échanges informels nous permettent de discuter plus en détail de notre travail, de partager des idées et de réfléchir à nos pratiques respectives. Rencontrer d’autres professionnels dans ce contexte aide non seulement à étendre notre réseau mais ouvre également des portes à de futures collaborations et partage de ressources.


En savoir plus sur le symposium produit par France Muséums pour le Louvre Abu Dhabi