Histoires de papiers – Construire un dialogue entre œuvres et scénographie

Co organisée par France Muséums, le musée du Louvre et le Louvre Abu Dhabi, la nouvelle exposition temporaire « Histoires de papiers », se tiendra du 20 avril au 24 juillet 2022. Cette exposition est riche de prêts importants notamment des départements des Arts graphiques et des Arts de l’Islam du musée du Louvre, du musée Guimet, de la Bibliothèque nationale de France, du Centre Pompidou, de la Sharjah Art Foundation ou du Zayed National Museum, mêlés à des œuvres des collections permanentes du Louvre Abu Dhabi. Elle est accompagnée d’œuvres contemporaines venues de la scène artistique arabe et européenne.

Pensée par les deux commissaires, Xavier Salmon, Directeur du département des Arts graphiques et Victor Hundsbuckler, Conservateur au département des Arts graphiques au musée du Louvre, l’exposition explore les innombrables possibilités d’expressions artistiques du papier, et encourage les visiteurs à poser un regard neuf sur ce matériau d’usage courant, et pourtant de moins en moins présent à l’ère numérique. Ces « histoire(s) de papier(s) » donnent au public l’opportunité de découvrir, de façon inédite et presque palpable, de nouveaux points de convergence entre civilisations.

LA SCENOGRAPHIE AU SERVICE DU NARRATIF

De la fabrication à la diffusion en passant par les progrès techniques, l’exposition « Histoires de papiers » illustre les nombreuses caractéristiques du papier, ce matériau si familier qui s’efface parfois de nos usages au profit du numérique qui est aujourd’hui ancré dans tous les aspects de nos vies quotidiennes. Cette exposition a été l’occasion de concevoir une scénographie unique. Douze thématiques qui interrogent cet objet, du mouvement à la couleur, de la fibre à la forme, mettent en scène la matérialité du papier.

Pour accompagner le visiteur dans cette expérience, la scénographie est au cœur du processus créatif et les équipes de France Muséums ont apporté leurs expertises afin de créer le parcours le plus adapté au propos de l’exposition. Cet article propose de mettre l’accent sur ce dispositif unique pensé par la scénographe Laurence Fontaine et accompagné par les équipes projet de France Muséums, Claire Monneraye, Responsable de Projet – Adjointe à la Directrice Expositions et Editions, Sandra Mazière, Responsable de la Régie des Expositions – Adjointe à la Directrice Expositions et Editions, Lise Iguedjtal, Régisseure des œuvres, Pauline Vernières, Chargée de production, Sabrina Mathieu, Cheffe de projet muséographie et Orlane Lefeuvre, Chargée de projet médiation et programmation.  

Tout commence par un propos à mettre en récit. La scénographie met en valeur et contextualise les œuvres, organise le parcours, et donne du sens ainsi qu’une certaine tonalité sensible à l’ensemble.  La scénographie d’exposition permet de divulguer une histoire, un concept, une émotion. Comme au théâtre, il faut « mettre en scène » les dialogues, les moments déterminants d’un récit, d’une suite d’œuvres pour que celles-ci dialoguent entre elles et forment l’histoire racontée par une exposition. La scénographie est à la fois le support, le liant, le décor, le chemin et le guide du visiteur dans une exposition. Elle peut être subtile comme source d’émerveillement. En classant, articulant, montrant des œuvres, l’exposition fait passer un message transmis et enrichi par la scénographie. Pourtant, dans certaines conceptions, la scénographie est souvent pensée comme une enveloppe la plus neutre possible. Elle doit s’effacer pour que le regard soit tourné sur l’œuvre et ne doit pas faire l’objet d’une attention particulière. 

Pour l’exposition « Histoires de papiers » l’équipe scénographique et les commissaires conseillés et épaulés par France Muséums ont eu à cœur de jouer avec la scénographie pour que celle-ci devienne une œuvre à part entière de l’exposition. Créer une scénographie à partir de papier, sujet central de l’exposition, permet de pousser jusqu’au bout le narratif, d’embarquer les visiteurs dans une expérience immersive et entière à la rencontre de ce matériau aux multiples facettes.

LA CONCEPTION SCENOGRAPHIQUE : DE LA COMMANDE AU CHANTIER

L’enjeu de la scénographie est de créer un parcours que le visiteur pourra investir pleinement. Le parcours doit être subtile mais présent pour laisser le visiteur libre tout en le guidant. Et cela en gardant l’idée d’une dynamique temporelle de la visite, avec des moments de repos, et d’accélérations à l’image d’un morceau de musique. Jouant sur le cadrage et la perspective, en récréant une sorte de promenade architecturale, l’exposition doit être un moment d’épanouissement. Elle est là pour transmettre la pensée d’un artiste ou le discours d’un commissaire à destination d’un public. Dans le cas d’ « Histoires de papiers », la scénographie vient renforcer, accompagner et même s’incorporer au propos pour ne faire qu’un ensemble vivant.

La scénographie est l’interaction entre un espace (un lieu d’exposition) et un contenu (les œuvres exposées). A la différence d’une scénographie de théâtre dont le terme a été emprunté, le public parcourt une scénographie d’exposition : le regard change avec la déambulation.

Pour Laurence Fontaine, scénographe de l’exposition « Histoires de papiers » :

« J’aime faire des scénographies qui soient présentes dans l’espace et dans les perspectives qu’elles créent et non pas des scénographies décor. Ce qui m’intéresse dans la scénographie c’est vraiment de travailler l’espace pour accompagner le visiteur sans prendre le pas sur le propos et les œuvres. Lorsque l’on créé une scénographie, il est important de toujours se mettre à la place du visiteur pour dessiner son parcours. Pour créer une scénographie, il faut s’imaginer les corps traverser l’espace que l’on façonne ».

Sur l’exposition « Histoires de papiers », la scénographie a été pensée pour mettre en lumière la matérialité du papier. Pour ce faire, l’espace a été découpé pour recréer un Louvre Abu Dhabi dans le Louvre Abu Dhabi, comme une mise en abîme composée de six cubes qui rythment le parcours et permettent des jeux de pleins et de vides pour créer les 12 sections de l’exposition.

Une paroi de papier courbe traverse l’exposition ; elle est le support de la chronologie où se mêle éléments graphiques retraçant l’histoire du papier et dispositifs audiovisuels. Ce ruban de papier est un élément indépendant qui lie les 12 sections entre elles. Il traverse tout le parcours à la manière du temps traversant les différentes thématiques qui elles sont intemporelles.

Pour cette paroi, l’idée originelle était d’utiliser différents types de papier afin de montrer sa diversité. Pour des questions de normes et de sécurité incendie, l’équipe scénographique a préféré l‘utilisation d’un papier nommé « drop paper ». Il a donc fallu adapter la scénographie à ces contraintes et trouver des solutions pour garder l’âme du projet intact. On retrouve également le papier dans la constitution des cartels pour rappeler la matière ainsi qu’au niveau des encadrements de portes.

La scénographie doit également gérer les contraintes techniques de l’espace. Un espace d’exposition avec son propre ADN permet souvent au scénographe et aux équipes de se baser sur quelque chose de tangible, de physique pour penser une exposition. Les espaces du Louvre Abu Dhabi sont plus complexes puisque vides. C’est donc une porte ouverte vers une grande liberté de création mais également un défi pour remplir ce vide sans tomber dans l’artificiel.

« Avec des galeries vides comme celles du Louvre Abu Dhabi, on est libre d’inventer tout le parcours mais cela peut-être effectivement plus périlleux ». Laurence Fontaine, scénographe de l’exposition

Faire une exposition sur du papier nécessite enfin de se poser la question de la ressource naturelle et de la gestion durable de cette exposition. Les équipes de France Muséums ont accompagné l’équipe scénographique, les commissaires et les équipes du Louvre Abu Dhabi pour trouver des solutions concrètes. Les contraintes externes empêchent parfois de mettre en place une réflexion durable sur la conception, l’installation et le démontage d’une exposition mais il est primordial pour France Muséums de mettre son expertise au service des équipes pour penser des initiatives vertueuses.

Sur la scénographie, la majorité du mobilier utilisé dans l’exposition « Histoires de papiers » ainsi que le matériel d’éclairage proviennent d’expositions temporaires précédentes (vitrines, socles, capots, tablettes, bancs). Les matériaux utilisés pour la scénographie et fabriqués à partir de papier seront  recyclés.

France Muséums continue sa démarche durable initiée pendant la pandémie au niveau du transport des œuvres. La politique RSE de France Muséums a notamment été introduite dans les cahiers des charges « Transport » depuis 2021 avec la définition d’un critère de notation des offres. Dans ce cadre il y a désormais une obligation pour les prestataires de transport de rendre un bilan carbone des émissions générées par l’exécution des prestations. France Muséums met également en place des convoiements hybrides, propose le regroupement dans le transport des œuvres et optimise le choix de la typologie des caisses de transport. Cela nécessite une grande adaptabilité et mutualisation des données. Dans un musée comme celui du Louvre Abu Dhabi, ces initiatives comptent et contribuent à une éducation et à un changement des pratiques au sein du musée et chez tous les partenaires et prestataires de cette exposition (musées prêteurs, installateurs, convoyeurs, scénographes etc.).

Engagée pour faire évoluer les pratiques, France Muséums développe des initiatives sociétales intégrées aux expositions comme la sensibilisation des prestataires et musées préteurs aux enjeux de transport, d’installation, de conservation des œuvres avec des matériaux plus durables. L’équipe de France Muséums a également fait appel à un binôme de restauratrices pour l’établissement des constats d’état des œuvres, avec une restauratrice confirmée en binôme avec une restauratrice jeune diplômée sous forme de « formation aux constats d’état » pour des prêts aux expositions temporaires.

LA SCENOGRAPHIE AU SERVICE DE LA MEDIATION

La scénographie d’exposition est une forme de médiation spatiale. Elle joue l’interface entre l’émetteur, l’objet et le public. Elle prend la forme de langages multiples pour proposer un récit compréhensible au public.

Sur l’exposition « Histoires de papiers », la scénographie a été pensée pour rendre l’exposition vivante. Cette scénographie a été imaginée comme partie intégrante du dispositif de médiation. Son objectif est de prolonger les œuvres exposées sans s’y substituer, accompagner et orienter le regard, contextualiser les œuvres, en déplaçant le point de vue, en convoquant ce qui est hors champ.

France Muséums et ses équipes en charge de la médiation interviennent dès la phase de conception scénographique pour dégager de grands thèmes et penser des dispositifs cohérents. Sur cette exposition, France Muséums a apporté son expertise sur trois temps de médiation.

Dans un premier temps, sur la signalétique par le ruban de papier à la fois support de la signalétique et signalétique en tant que telle et par l’utilisation de lés de papier pour les textes de salle.

L’équipe du projet ont également conçu trois dispositifs de médiation pour accompagner le visiteur dans son parcours. Là encore, l’objectif a été d’exploiter tout le potentiel de la scénographie afin de garder une continuité de propos et déployer des installations visuelles ludiques dont la pédagogie est basée en grande partie sur le plaisir de la découverte et la contemplation. Ainsi, les dispositifs ont été pensés pour reposer sur le grand ruban de papier, fil rouge de l’exposition. Les équipes projet de l’exposition ont été accompagnées par la société On-situ, spécialisée dans la production d’installations multimédias à évocation culturelle.

Le premier dispositif de médiation situé au début de l’exposition est un film projeté sur des lés de papier et accompagné d’un dispositif sonore immersif. Il introduit le propos de l’exposition en présentant aux visiteurs les différentes techniques de fabrication du papier de la plante au produit final entre orient et occident.

Le second dispositif invite le public à prendre part à l’exposition et découvrir les différents types de plantes utilisés dans la fabrication du papier. Raccroché lui aussi à la scénographie, les visiteurs sont invités à sélectionner une feuille de papier sur une table interactive et à découvrir sa provenance et son origine végétale à travers une animation projetée sur la scénographie.

Enfin, le troisième dispositif est directement projeté sur le ruban de papier. A travers un jeu de lumière, il présente le concept de filigrane et révèle aux visiteurs l’origine du papier sur plusieurs œuvres projetées.

Le papier est présent également au centre de la médiation pédagogique pour le jeune public. Co conçut par France Muséums, le dispositif s’articule autour de ressources pédagogiques en papier reprenant les codes de l’exposition ainsi que d’une mascotte présente tout au long du parcours et intégrée à la scénographie expliquant l’histoire du papier, son rôle, son utilisation à travers les siècles mais également l’importance de le préserver.

Œuvres, scénographie, médiation, signalétique, toutes ces composantes forment une structure vivante qui accompagne le public dans sa visite et créé une immersion totale dans le récit. De la conception du projet à son installation physique, France Muséums travaille en collaboration avec des experts de chaque corps de métier pour créer une expérience inédite au service de la rencontre entre les œuvres et le public.