Entretien – Vers des partenariats internationaux plus équilibrés avec Mehdi Qotbi

Entrevue 2/6 : « Vers des partenariats internationaux plus équilibrés » avec Mehdi Qotbi 

Nouvelle étape dans notre série consacrée aux discussions et débats qui se sont tenus lors du symposium Musées africains : enjeux d’aujourd’hui et de demain, produit par France Muséums au Louvre Abu Dhabi en janvier 2025.

L’une des tables rondes, consacrée aux partenariats internationaux, a ouvert un espace de dialogue essentiel pour repenser les dynamiques de coopération dans le secteur culturel. Comment dépasser les modèles hérités du passé pour bâtir des partenariats plus équilibrés et respectueux des spécificités culturelles ?

Mehdi Qotbi est artiste plasticien et président de la Fondation nationale des Musées du Maroc (FNM) depuis 2011. Il a pour mission la création et le développement de centres d’art et de musées, accessibles à tous et à toutes, dans tout le royaume. Pour France Muséums, il partage sa vision de l’évolution des dynamiques de collaboration et du rôle que le Maroc et le continent africain peuvent jouer sur la scène internationale.

Pouvez-vous nous présenter la Fondation nationale des Musées et le projet de la Cité de la culture africaine – musée du Continent ?

La Fondation Nationale des Musées a été créée en 2011, sous l’impulsion du Roi Mohammed VI. L’objectif de cette institution indépendante est de renforcer la gouvernance muséale du Maroc et de valoriser son patrimoine culturel, artistique et archéologique à travers notamment l’accompagnement de près de 21 musées actuellement ouverts sur le territoire.

En ce début d’année 2025, plusieurs espaces muséaux ont vu le jour grâce à l’engagement de la Fondation. Je peux évoquer, par exemple, la Villa Carl Ficke, musée de la Mémoire de Casablanca, ainsi que le musée de la Reconstruction d’Agadir, un musée consacré au séisme de 1960 et à l’histoire de la ville. Nous avons également soutenu la réouverture, à l’issue de travaux de restauration, du musée Al Batha des arts de l’Islam, à Fès.

Parmi ces différentes actions, la Cité de la Culture Africaine – musée du Continent est un projet qui a pour but de faire rayonner tout le continent africain. Située au cœur de Rabat, elle a été pensée en parfaite harmonie avec le musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, qui se trouve juste en face. Les deux structures seront reliées par un tunnel, créant un lien ombilical, afin de signifier les relations entre le Maroc et les autres pays du continent africain.

Cette cité, qui s’étend sur une superficie de 13 202 m², proposera une variété de programmes mettant en valeur les richesses de la créativité moderne et contemporaine africaine. Elle sera un espace de rencontre, de partage, de formation et de collaboration, un carrefour dynamique pour les artistes et acteur.rices culturel.les africain.nes. L’ouverture est prévue pour fin 2026-début 2027.

Pourquoi est-il important de réinventer les schémas de partenariats internationaux dans le secteur muséal, en Afrique ?

Les musées doivent permettre de tisser des liens solides et durables entre les acteur.rices culturel.les, tout en offrant aux artistes de notre continent un espace d’expression et l’opportunité d’entrer en résonance avec la création du monde entier.

Il me semble en effet que la culture, par essence, doit se partager. Elle peut, de ce fait, être un levier majeur de diplomatie et d’influence. Les musées ne sont plus de simples lieux de conservation ; ils sont devenus des acteurs stratégiques du soft power.

Pour les pays africains, investir dans le développement de musées et d’institutions culturelles est une manière de se réapproprier leurs récits, de valoriser leur patrimoine et d’affirmer leur place dans les échanges culturels mondiaux.

Historiquement, les collaborations culturelles ont souvent suivi une logique descendante, où les musées et institutions du Nord jouaient un rôle central dans les échanges et la circulation des œuvres.

Il est crucial de renverser cette dynamique et d’instaurer un dialogue plus horizontal. De nos jours, des relations « Sud-Sud » s’établissent de manière plus spontanée, des coopérations directes entre responsable de musées ou d’institutions culturelles, sans passer par des structures administratives lourdes, permettent des échanges simplifiés. Le partage et la formation sont également très importants et renforcent cette horizontalité. Le partage de l’expertise en développant des formations accessibles aux acteur.rices du secteur, en collaboration avec des partenaires africains et internationaux renforce également cette horizontalité.

Cette démarche autorise plus de souplesse pour échanger sur ce qui nous préoccupe spécifiquement, en tant qu’Africains, et peut nous permettre de faire fructifier nos relations.

Quel rôle le Maroc joue-t-il dans ces partenariats ?

Le Maroc contribue dynamiquement à cette transformation des schémas de partenariats, devenant un modèle grâce à une politique culturelle ambitieuse impulsée dès 1999.

D’autres initiatives marquent cet engagement.  La FNM a en effet organisé l’événement « L’Afrique en capitale », en 2017 : pendant un mois, Rabat a été le lieu de 36 manifestations culturelles variées (expositions, conférences et spectacles), mettant à l’honneur l’Art africain. Cette grande fête a précédé l’exposition « Lumières d’Afrique » présentée au musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain en 2019, laquelle a mis en avant le travail de 54 artistes, représentant chacun des 54 pays du continent. De plus, en 2022, Rabat était désignée capitale africaine de la culture par l’organisation Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU – Afrique)

Ces réalisations reflètent notre volonté de faire du Maroc une porte d’entrée vers l’Afrique culturelle et artistique afin qu’elle soit mieux connue et mieux comprise.

En quoi ces espaces de dialogue, comme ce Symposium organisé à Abu Dhabi, sont-ils importants ?

Je voudrais remercier les organisateurs du Symposium, car ces espaces de rencontres et de dialogues sont essentiels.

Les institutions africaines doivent pouvoir participer pleinement aux grands débats muséaux et patrimoniaux. Les conférences internationales comme celle organisée à Abu Dhabi offrent aux professionnel.les, intellectuel.les, décisionnaires et artistes une visibilité et un espace d’échange sur des enjeux communs.

Cet événement qui, je l’espère deviendra récurrent, favorise également la compréhension mutuelle et la réflexion sur les problématiques actuelles, renforçant les liens entre différentes régions et cultures, et ouvrant la voie à des initiatives de collaborations.


En savoir plus sur le symposium produit par France Muséums pour le Louvre Abu Dhabi