Entretien – Réenchanter le patrimoine avec Malick Ndiaye
Entrevue 1/6 : « Réenchanter le patrimoine » avec Malick Ndiaye
France Muséums a eu l’honneur de collaborer avec le Louvre Abu Dhabi et de produire le Symposium Musées africains : enjeux d’aujourd’hui et de demain, lequel s’est tenu au Louvre Abu Dhabi, du 28 au 30 janvier 2025.
Cet événement a réuni près de 25 institutions africaines ainsi que des professionnels du monde entier, venus échanger sur les perspectives et défis auxquels font face les musées du continent. Il a offert un espace de réflexion privilégié, donnant la parole à des directeurs et directrices de musées, universitaires et artistes sur des questions centrales : la redéfinition des récits, la place des jeunes générations, la transformation des musées et l’évolution de leurs formes et de leurs rôles.
Pour prolonger ces discussions au-delà du Symposium, nous avons souhaité donner la parole aux intervenants à travers une série d’entretiens.
Dans cette première entrevue, nous avons eu le plaisir d’échanger avec El Hadji Malick Ndiaye, chef du département des musées et conservateur du Musée Théodore Monod d’art africain, IFAN Ch. A. Diop, à Dakar.
Pour France Muséums, il est revenu sur l’importance de la narration en contexte muséal.
Pouvez-vous présenter votre institution et les changements que vous y avez opérés ces dernières années ?
L’histoire du site du musée Théodore Monod remonte aux années 1930 : initialement réservé au siège du gouverneur de la circonscription de Dakar, du temps de l’Afrique-Occidentale française (AOF), le bâtiment fut ensuite affecté à l’Institut français d’Afrique Noire (IFAN) connu plus tard sous le nom d’Institut Fondamental d’Afrique Noire. En 1961, le bâtiment sera entièrement consacré au musée Théodore Monod d’art africain.
Aujourd’hui, le musée conserve près de 9 000 objets du patrimoine sénégalais et africain, et se donne pour mission de préserver et valoriser l’héritage culturel du Sénégal et de l’Afrique tout entière.
C’est cet objectif qui nous a poussé à réinterpréter le récit de ces objets, en osant explorer de nouvelles formes de narration aux côtés d’artistes et de professionnels de la culture au Sénégal et en Afrique, afin de les faire entrer en résonnance avec la société contemporaine et ses enjeux.
Notre démarche a suscité un regain d’intérêt certain pour le musée, aussi bien du côté de la communauté que des partenaires culturels locaux et internationaux. Nous sommes aujourd’hui en mesure de nouer de nombreux partenariats sur les cinq continents, avec des artistes et des institutions aussi diverses que le Ministère de la culture du Sénégal, plusieurs musées du continent, le Metropolitan Museum of Art de New York, le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington, l’UNESCO, la Fondation Volkswagen, le Goethe Institut ou encore la Fondation Gerda Henkel, l’Institut Culturel Italien, l’Institut Français et la Réunion des musées nationaux Grand Palais pour les projets numériques entre autres…
Nous proposons cette année deux expositions : la première, créée en collaboration avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac « Réenchanter nos vies » ouverte depuis le mois de février ; la seconde qui succédera à celle-ci prévue au mois de mai sera montée en partenariat avec l’Institut Culturel Italien.
Nous sommes sollicités régulièrement pour des partenariats et accueillons de nouveaux profils de visiteurs. Le musée n’a jamais été aussi dynamique.
En quoi la réinterprétation et la réappropriation des collections par les artistes et les acteur·rice·s du tissu culturel local peuvent-elles transformer les récits et renouveler le musée ?
Il était important pour le musée Théodore Monod de repenser ses collections afin qu’elles interpellent les imaginaires contemporains, car le musée était devenu un espace fantôme, « une prison » pour les objets et un rempart pour la population se trouvant à l’extérieur de l’institution.
Les artistes considèrent le patrimoine au-delà de l’approche méthodologique, scientifique et normée, des historien.nes de l’art ou des conservateurs/conservatrices. Ils/elles réinventent perpétuellement le monde de leur regard, en osant l’anachronisme, et en brouillant les temporalités.
Loin de rejeter le travail essentiel de la médiation traditionnelle, nous avons entrepris de coconstruire quelque chose de nouveau avec ces artistes en tant que médiateurs et médiatrices, afin d’actualiser le récit des objets, de les réinterroger et de réinsérer le musée dans le tissu social.
Je vous donne un exemple. En 2023, nous avons organisé une performance au sein du musée, dans lequel un artiste, jouant le rôle d’un guide spirituel de la société traditionnelle Sérère, me réintroduisait moi, le conservateur, aux objets auxquels j’étais éloigné du fait de mon éducation et mon regard de scientifique. Il s’agissait ici de “réconcilier” symboliquement sociétés traditionnelle et moderne, par l’intermédiaire d’un artiste.
Cette démarche nous a permis de réenchanter le patrimoine pour les générations présentes et futures, et de faire du musée un espace pour les vivants et non pour les objets inanimés. Plus qu’un lieu culturel, le musée Théodore Monod est désormais porteur d’un projet de société.
Lors du Symposium, vous avez évoqué le concept de musée expérimental, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Expérimenter suppose d’oser réaliser quelque chose qui jusque-là n’attirait pas et ne faisait pas norme, de sortir des sentiers battus.
Pour actualiser notre patrimoine et l’inscrire dans notre temporalité, nous avons travaillé sur nos collections pour les reconnecter à différents publics.
Pour donner un exemple, nous souhaitions mettre en regard les savoirs cosmogoniques des Dogons et les connaissances astronomiques actuelles. Pour ce faire, nous avons notamment organisé des séances d’initiation à l’astronomie et d’observation du ciel avec des télescopes.
Dans notre démarche, il nous a semblé également primordial de rendre les objets accessibles à l’interprétation subjective des visiteurs, sans critiques d’art ou conservateur/conservatrice pour les guider. C’est ce qui nous a incité à sortir des objets des vitrines et à les exposer en extérieur (sur de courtes périodes), à portée de main des visiteurs, afin qu’ils puissent les investir sans contrainte. Dans la même idée, nous avons également créé une exposition sans cartels qui aborde la question de l’anonymat des artistes qui ont créé les œuvres aujourd’hui conservées au musée.
Un musée expérimental est un espace où l’on désapprend d’abord et où l’on ose explorer le monde ensuite.
En quoi ces espaces de dialogue, comme ce Symposium organisé à Abu Dhabi, sont-ils importants ?
Il est très encourageant qu’un tel événement ait eu lieu, car il ouvre la porte au renforcement de la coopération culturelle. Rencontrer des acteurs culturels avec lesquels nous avons peu de partenariats mais partageons beaucoup de choses ouvre de nouvelles perspectives et axes de coopération. Échanger des idées permet de repenser la démarche muséale.
Ces discussions ont été stimulantes et de nombreuses idées de partenariats ont émergé à l’issue de cet événement.
En savoir plus sur le symposium produit par France Muséums pour le Louvre Abu Dhabi